Les
habitants de ces communautés eurent le titre de franc-bourgeois,
statut intermédiaire entre celui de la noblesse et de la roture.
Ayant donc obtenu tous ses droits féodaux au Dauphin, les Briançonnais
se retrouvèrent dans une situation politique et économique
infiniment supérieure à celle de tous leurs voisins.
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appelle Escarton la communauté des habitants d'un même territoire.
Il y en a cinq qui sont respectivement:
- L'escarton de Briançon, groupant 12 communes, comprend le val
de Clarée, le val de Cervières, le val de Guisane, la haute
Durance en amont de L'Argentière-la-Bessée et du défilé
de Pertuis Rostan et la Vallouise.
- L'escarton du Queyras, groupant 7 communes.
- L'escarton de l'Oulx, groupant 21 communes.
- L'escarton de Valcluson, ou Pragelas, groupant 7 communes.
- L'escarton de Château-Dauphin, groupant 4 communes.
Soit un total de 51 communes formant un ensemble appelé "Le
Grand Escarton"
6 ans plus tard, en 1349 Humbert II, n'ayant pas de fils, céda
le Dauphiné au fils du roi de France. (cet acte est appelé
"Transport du Dauphiné" au royaume de France)
La
transaction signe l'extinction sans conflit de la noblesse. Avant 1343,
les nobles, pratiquement dépourvus de pouvoir féodal, abusaient
de celui que leur conférait la position très recherchée
d'officier delphinal : viguier, bailli, etc. D'où des conflits
fréquents qui disparaissent. Des nobles quittent les escartons
au cours des deux siècles suivants après avoir réalisés
leurs biens. Mais certains reviendront. Tous ceux qui restent ou reviennent
se mêlent sans plus de façons à la bourgeoisie. En
vertu de leur entregent et de leur savoir, ils seront souvent élus
consuls.
Fonctionnement
des Escartons
Ces
communautés édictaient leur propre règlements de
police. Elles élisaient des juges qui statuaient sur les contraventions
en se référant aux coutumes locales. Initialement, les juges
étaient renouvelés tous les ans, comme les consuls. Puis
ils furent renouvelés par moitié tous les deux ans afin
que les anciens puissent initier les nouveaux. Les tribunaux ont fonctionné
jusqu'en 1790, malgré l'abolition de toutes les justices municipales
prononcée dès 1556 par une ordonnance royale. Les jugements
n'étaient pas homologués au nom du Roi, mais il ne vint
à l'esprit d'aucun Briançonnais de les contester auprès
de l'autorité royale.
Etant
tous "Hommes-libres-francs-bourgeois", les Briançonnais
avaient tous le droit de chasse et le droit de porter des armes.
La
liberté engendra la prospérité. Il y avait trois
grandes foires franches, dont une internationale, qui attirait des marchands
depuis la Hollande, les cités italiennes et de l'État Pontifical
d'Avignon. Les escartons prenaient d'importantes mesures pour assurer
la sûreté des voyageurs. Alors que de nombreuses ordonnances
royales interdisaient, avec une extrême rigueur l'usage des monnaies
étrangères, ces montagnards tenaces ont obtenu durant plus
de deux siècles une exception à la règle générale.
A cette époque la ville de Briançon compta jusqu'au double
d'habitants par rapport à Grenoble et la précéda
pour l'esprit d'entreprise.
L'enseignement
était prodigué à tous les enfants. Chaque municipalité
nommait ses instituteurs après examen ou concours fin septembre
ou début octobre. Ainsi l'article 17 d'un règlement de Briançon
de 1624 disait : "Nul ne sera reçu en cette ville pour maître
d'école, qu'il n'ait été examiné par deux
avocats et un bourgeois commis par le conseil; comme aussi seront ses
gages résolus en conseil". Une plume d'oie indique l'aptitude
à enseigner la lecture et l'écriture, deux plumes l'arithmétique
et les sciences naturelles, trois plumes le latin en plus.
Chaque famille était
tenue de payer "l'écolage". Au chef-lieu, la classe avait
lieu dans la salle servant aux réunions du conseil. Dans les villages,
elle se faisait... dans une étable, à l'abri de la froidure.
L'instruction
du peuple atteignait dans le Briançonnais un niveau sans pareil
pour l'époque; 35% des femmes et 90% des hommes savaient lire.
En 1713, sous Louis XIV, des envoyés de la cour, qui pensaient
avoir à faire à des paysans illettrés signant d'une
croix, furent ébahis de recueillir de belles signatures accompagnées
de commentaires.
La
fin des Escartons.
En
1713 Les
traités d'Utrecht mirent fin à la guerre de Succession
d'Espagne. Ils eurent de fortes implications dans le Briançonnais.
Louis XIV cédait au Duc de Savoie Victor Amédée
II, devenu Roi de Sicile, en échange du Val-des-Monts (Vallée
de Barcelonnette), «tout ce qui est à l’Eau Pendante
des Alpes du côté du Piémont», c'est-à-dire,
les escartons d’Oulx, du Valcluson et de Château-Dauphin.
"Une frontière de géomètre", se plaindront
les habitants. Cette mesure entraîna un déclin économique,
et traumatisa la population qui perdait de chaque côté
la réciprocité de l'escartonnement. Disparaissait
aussi une complémentarité économique ancestrale
entre les deux versants liés par 21 cols presque tous muletiers
: bétail, cuir, bois, à l'Ouest, fruits, légumes
à l'Est. |
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Pendant
la Révolution française, le Briançonnais a été
touché de plein fouet par le vent des réformes. Le 14 juin
1788, les Escartons sont conviés à participer à l'Assemblée
de Vizille du 21 juillet. Bien que les Briançonnais ne se sentent
pas concernés, l'Escarton Général décide d'envoyer
des délégués. Ils les sommèrent de s’employer
pour la défense des intérêts généraux,
tout en veillant soigneusement à la conservation de leurs privilèges.
Plus tard ils firent signer au secrétaire des Etats Généraux
les protestations contre les articles du règlement des trois ordres
qui portaient atteinte à leurs franchises. Ces protestations furent
sans effet. En mai 1790, les Briançonnais envoyèrent à
l’Assemblée Nationale une adresse d’adhésion
au nouveau régime. C’était la fin de la République
des Escartons.
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